Le sonore numérique est un frein au jeu vidéo

/!\Cet article est le script de ma chronique du Game Dolls Advance épisode 8.

Coucou c’est Rose, bienvenue dans ma chronique qui s’appelle « Le sonore numérique est un frein au jeu vidéo ».
Je trouvais que dans la chronique précédente, je m’étais pas assez plainte d’un truc. Parce qu’en vrai, je me suis plainte que la musique dans les pornos c’était relativement souvent chiant, que la musique dans Fallout c’était bien souvent très chiant, et que les moteurs de recherche sur les sites d’écoute de musique c’était de la merde. Alors il faut réparer ça parce que la dernière chronique était trop enthousiaste. Alors aujourd’hui, j’ai décidé de me plaindre de la musique de jeu vidéo au global. C’est à dire que je vais dire des horreurs sur vos compositeurices de musique préféraes, et peut-être même dire des horreurs sur vous, compositeurice de musique, qui m’écoutez là ce soir.

Je ne connais quasiment aucun jeu qui n’est pas comme ça. C’est à dire totalement composé d’éléments numériques. Ces éléments numériques, ce sont des assets graphiques numériques, des assets audio numériques, des assets vidéos numériques, des assets textuels numériques et d’autres assets numériques de gros cerveaux que je ne connais pas. Le reste, c’est le hardware, c’est à dire la console de jeu vidéo, mais aussi la manette et pourquoi pas l’écran si celui-ci n’est pas connecté à la console directement.

Le numérique a envahi le jeu vidéo, à tel point qu’il est difficile de le conceptualiser sans, d’imaginer qu’il puisse déborder à l’extérieur, dans l’analogique.
Souvent, quand le jeu vidéo déborde à l’extérieur, il s’agit d’une appli qui se coordonne avec un jeu de plateau. On peut penser à un jeu de Loup Garou où l’arbitre définissant le rythme du jeu est suggéré par une voix sortant d’une application. Parfois c’est l’analogique qui s’insère dans le jeu vidéo, quand il faut imiter un bruit dans son micro d’ordinateur pour que le signal sonore imite un autre signal sonore.
« Oui bah c’est super Rose, me direz vous, mais d’où c’est que quoi que le jeu vidéo déborde pas sur l’analogique, tu as fumé ou c’est quoi ton problème philo encore là ? Tu nous tartines quoi encore comme théorie. » Beh je vais vous expliquer ce débordement avec la musique dans le jeu vidéo.

La musique de jeu vidéo, c’est chouette non ? Je crois que tout le monde ici aime ça, non ?
(Sarcasme actif) Bah non, c’est de la merde. Les compositeurices de musique sont d’horribles personnes qui ne font qu’imposer du sonore aux joueureuses sous couvert d’inventivités du médium. Genre wahou, c’est interactif donc c’est l’apothéose de nos pratiques sonores. Iels font genre « nya nya, je fais de la musique dynamique, regardez moi comment je suis trop intelligenxe, je fais des crossfades entre mes layers sonores pour apporter une expérience dynamique à lae joueureuse, nyanyanya j’ai cuté ma musique en jolis blocs temporels pour que ça s’enchaîne à merveille pour une immersion sonore totale nyanyanya j’ai fait une jolie harmonie musicale on dirait trop de la vraie musique, j’suis un genixe et je renforce les stéréotypes de dépréciation des personnes n’ayant pas accès à la composition nyanyanya » DE LA MERDE. Si déjà vous me permettez pas de jouer avec vos triggers sonores facilement, je vous trouve nullaos, si cet aspect là de la musique est pas permis, mais aux chiottes en fait. Et je dis ça aussi à ma moi du passée, genre, au secours, t’es pas drôle Rose, turbo nullax, ta musique de jeux vidéo elle pue du bec en fait.
Oui je parle mal des compositeurices de musique de jeux vidéo alors me lancez pas sur les game designeureuses et les level designeureuses parce que sinon c’est Parking d’Auchan Simulator extended run edition.(Sarcasme inactif)

Bon, bah c’est super de vouloir faire la bagarre avec tout le monde mais quoi en fait. Alors ce à quoi je pense là maintenant, ça vient d’un nœud dans mon cerveau que je me suis fait très bêtement en comprenant mal une partition de piano composée par Yoko Ono.
Alors je vous vois venir avec vos « Nyanyanya Rose, tu gueules sur les compositeurices du jeu vidéo que c’est des oppresseureuses mais tu fais que sortir des refs du cul de l’art contemporain bourgeois que tout le monde a oublié et que tout le monde s’en fout » oui bah j’y peux rien si les créateurices du mouvement Fluxus des années 60 avaient plus de réflexions anticapitalistes et antibourgeoises dans leur approche créative que l’ensemble de la production de musique du jeu vidéo et du jeu vidéo en général.
Bref, la pièce de Yoko Ono, c’est une pièce de piano qui s’appelle Secret Piece qui a été écrite en 1964 dans son incroyable livre Grapefruit, que je recommande à tout le monde.

Il est écrit "Secret Piece", Decide on one note that you want to play. Play it with the following accompaniment : The woods from 5 a.m. to 8 a.m. in summer" (En français :"Pièce Secrète, décider d'une note que vous voulez jouer. La jouer avec l'accompagnement : Les bois de 5 heures du matin à 8 heures du matin en été.") . S'en suit une partition avec l'annotation "With the accompaniment of the birds singing at dawn" (En français "avec l'accompagnement des oiseaux chantant à l'aube").

Grapefruit, c’est un ensemble d’instructions créatives plus ou moins abstraites et poétiques écrites par Yoko Ono. C’était un vrai truc chez les membres du collectif artistique Fluxus de créer des recettes créatives qui permettent de faire émerger ce qui a été appelé par Fluxus des happenings, des situations, qui pouvaient être mises en place par toustes. On retrouve dans Grapefruit des pièces que je trouve magnifiques comme Bell Piece, Water Piece, Tuna Fish Sandwich.

Il est noté "Bell Piece. Listen to a bell for an hour. Diminish the sound to piano by ringing it over in your head. Diminish the sound to pianissimo by ringing it over in your dream. Diminish the sound poco a poco troppo pianissimo by forgetting. Try other sounds, mother's voice, baby cry, husband's hysterics. 1963 autumn" (En français :"Pièce de la cloche. Ecouter un cloche pendant une heure. Diminuer le son vers piano en la faisant sonner au dessus de sa tête. Diminuer le son vers pianissimo en la faisant sonner au dessus de soi dans un rêve. Diminuer le son de poco à poco troppo pianissimo en oubliant le son. Essayer avec d'autres sons, la voix de sa mère, les pleurs d'un·e bébé, l'hystérie de son mari. Automne 1963.")

Il est noté "Water Piece, steal a moon on the water with a bucket. Keep stealing until no moon is seen on the water. 1964 spring" (En français :"Piece de l'eau, voler une lune dans l'eau avec un seau. Continuer de voler jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de lune dans l'eau. 1964, été.")

Il est noté "Tunafish sandwich piece, Imagine one thousand suns in the sky at the same time. Let them shine for one hour. Then, let them gradually melt into the sky. Make on tunafish sandwich and eat. 1964 spring." (En français:"Piece du sandwich au thon, imaginer un millier de soleils dans le ciel au même moment. Ensuite, les laisser fondre graduellement dans le ciel. Faire un sandwich au thon et manger. 1964 été."

La pièce Secret Piece dans Grapefruit se présente comme ceci, c’est à dire un texte d’explication puis une photo de la partition avec une instruction manuscrite. La partition montre une même note jouée à plusieurs reprises avec l’instruction « With the accompaniment of the birds singing at dawn ».

Alors moi pendant genre un bon moment, j’ai pas compris cette pièce. J’avais compris, en la découvrant dans le très chouette Fluxus et la musique de Olivier Lussac, qu’il fallait « imaginer le bruit des oiseaux à l’aube ». Quand j’ai compris ça la première fois, ça m’a totalement renversé la tronche, genre « ah ouais, je peux superposer les sons que j’entends dans ma tête, que j’imagine, que je fantasme, qui m’hallucine, je peux les superposer aux sons acoustiques que je perçois, c’est genre giga incroyable ». Moi qui a parfois le syndrome de la tête qui explose et des acouphènes chaotiques, ça m’a permis de, parfois, prendre le dessus sur ces nuisances et jouer avec. Ca m’a permis de m’asseoir et de me forcer à imaginer des sons qui n’existent pas. Parfois ça marche, parfois ça marche pas. Par contre, j’ai bien pris mon temps à chaque fois.

Mais c’est quoi le bazar alors. Bah le bazar, c’est que concrètement, qu’est-ce qui nous empêche de ne pas utiliser tous ces procédés. Dans ma mésinterprétation, j’ai imaginé un travail actif de superposition d’un audio imaginaire cérébral à un audio déjà existant. Et Yoko Ono propose de jouer avec un accompagnement audio déjà existant, les oiseaux bien réels. Et dans les deux cas, il y a des choses à en tirer très fort.
L’audio dans un jeu vidéo, c’est con à dire comme ça mais je crois que c’est nécessaire, ça peut ne pas être que ce qui sort des haut parleurs d’un jeu vidéo. Ca peut être tout ce qu’il y a autour, c’est tous les paramètres qu’on peut bidouiller pour transformer le flux de l’audio, c’est tout ce que l’on peut contrôler ou non dans notre espace sonique externe mais aussi interne. Tout ce qui peut devenir au final une pratique de l’audio.

A une session du Fluidspace à Marseille, un hackerspace trop chouette, on avait fait une session de jeu vidéo où j’avais hijack le flux audio d’une des télévisions pour le faire passer dans des pédales d’effets, pour le bidouiller en direct et envoyer le flux dans un haut parleur. Tout le monde pouvait participer à altérer le résultat sonore du jeu. On avait fait ça à l’arrache là mais, concrètement, on pourrait designer un jeu vidéo et son flux audio avec comme principe de base d’être joué à plusieurs, une personne qui manipule une manette pour jouer à l’écran et d’autres qui manipulent le flux audio du jeu vidéo à travers un réseau d’élément permettant sa transformation en direct. Ca implique un set-up particulier, potentiellement du matos qui ne sert à l’origine que pour un jeu en particulier. Mais si ce set-up peut être facilement appliqué à d’autres jeux (typiquement exploiter le son sortant d’un téléviseur ou d’une sortie casque peut être fait sur 99 % des jeux vidéos possédant de l’audio) alors ça n’est pas perdu et reproductible à l’infini.
Y’a tout un spectre qui peut s’ouvrir à nous, de musiques situées, et de pratiques uniques de l’audio dans les jeux.

Qu’est-ce qui nous empêcherait de proposer comme composition sonore pour les jeux que nous créons une situation comme Secret Piece de Yoko Ono. Genre, demander à ce que lae joueureuse prenne son téléphone ou son ordinateur portable pour jouer au jeu avec ses musiques mais aussi avec le son des oiseaux à l’aube, dans une forêt, dans un parc, dans le jardin d’unxe proche. Qu’est-ce qui nous empêcherait de jouer à un jeu vidéo mais de diffuser l’audio d’un autre jeu complètement différent à sa place, joué en parallèle par quelqu’un d’autre à côté de soi. De se faire des soirées mash-up de canaux audio et vidéo. De demander que le jeu soit accompagné par la musique faite en direct par unxe de vos camarades à côté de vous. On pourrait imaginer des conditions impossibles à être exécutées matériellement, juste parce que c’est drôle et qu’il faut alors réfléchir à une manière personnelle de résoudre ce potentiel problème.
Il serait possible de composer des éléments audios numériques comprenant toutes ces considérations, il y a encore des infinités de choses à faire avec l’audio numérique, mais imaginer que l’audio numérique est l’horizon indépassable de la musique, c’est se tromper fortement et ne faire que renforcer une idée du génial compositionnel qui est unique possesseureuse des moyens de l’audio. Et on oublie alors le méta-jeu, de jouer avec toutes nos manières de jouer aux jeux, additionner, détourner, retirer, s’inspirer, des règles de jeux.

Ces pensées, ces considérations, ces règles, doivent évidemment s’ancrer dans un rapport à l’accessibilité, à la non fétichisation du sonore et dans une démarche anticapitaliste et antigéniale active. Tout le monde n’a pas les moyens d’aller à l’autre bout du monde pour une expérience dite « immersive » fétichisante du sonore et destructrice des écosystèmes, ni même pour s’acheter du matériel de jeu portable.
On pourrait avoir là un usage intéressant d’un site comme le Locustream du Locus Sonus Vitae, le laboratoire de travail sonore des Beaux Arts d’Aix en Provence pour pouvoir intégrer une source sonore enregistrée en direct, pour proposer une alternative certes numérique mais accessible. Sur tous ces aspects là, je vous invite aussi à lire « l’orchestration du quotidien » de Juliette Volcler qui aborde ces sujets de la fétichisation du sonore, le design urbain, qui nous oppresse ou qui peut potentiellement nous émanciper parfois.

Sincèrement, j’en appelle à vous, joueureuses de jeu vidéo, à terroriser vos compositeurices de musique de jeux vidéo préféraes, en torturant le flux audio d’un jeu en calant une pédale de distorsion en sortie de canal audio, en jouant au jeu en diffusant la musique sous l’eau, en demandant à vos amix d’écouter le flux audio au casque et en imitant ce qu’iels écoutent avec leurs bouches, et à nous, compositeurices de jeux vidéos, à ne pas nous limiter au numérique pour imaginer nos désirs sonores, à faire se taire nos désirs harmoniques autoriaux, à foutre nos égos aliénés par le capitalisme et la recherche de reconnaissance et de gloire quelque part où ils nous foutront la paix pour y insérer du jeu, du quotidien, de l’amour du présent dans nos pratiques du sonore. Et ne pas oublier que nous ne sommes pas seul·e·s à faire exister ces possibles musicaux, voir que les compositeurices de musique de jeux vidéo ne sont que peu de choses dans l’appréciation du moment de vie que peut nous apporter le jeu vidéo.

[EN]Want to leave a comment ? You can write it in my guestbook !
[FR]Tu veux laisser un commentaire ? Tu peux le faire sur mon livre d'or !