Journal de résidence à l'Esaaix, Entrée 06
Je me demande encore quel peut être les angles de résultats de mon travail à la résidence. J’aimerai présenter des règles de jeu pour la déconstruction des pratiques capitalistes et fascistes de la musique qui puissent être réappropriées par toustes. Idéalement un format fanzine, quelque chose qui pourrait ressembler à Grapefruit ou à Invisible & Understimulated (en plus chaotique, évidemment, là c’est beaucoup trop clean), accessible facilement sur itch et imprimable sans trop de problèmes, qui pourrait tenir dans une poche ou un sac d’instruments.
À côté, l’idée de faire un événement spécial pour l’occasion de la fin de résidence est vraiment cool mais je n’arrive pas du tout à me projeter dedans pour le moment. Je pense que j’ai besoin d’encore un peu de temps pour digérer et imaginer les possibles et les enthousiasmes différents. J’ai peur que ça soit un four et que ça n’intéresse personne (mais pour l’instant toutes mes attentes ont été contrées et tout s’est toujours bien passé – parfois même presque trop tellement il y avait de personnes contenxtes de participer à mes bidules). Aurai-je un petit soucis de confiance en moi ? Est-ce que j’ai du mal à croire que j’ai des idées que peuvent être intéressantes plus que pour moi et mon propre plaisir ? Est-ce que j’ai peur de profiter de la cotisation et d’une place qui pourraient être donnée à quelqu’un d’autre ? Oui, Rose, oui, oui à tout. À un moment tout le monde le sait. Get over it, tu es déjà sur place, maintenant, tu fais travailler ta magie.
Dans tout ça, je pense qu’il est important de faire un travail de définition pour pouvoir avancer et construire des jeux qui vont faire la bagarre aux aliénations capitalistes et fascistes de la musique.
Il faut définir ce que l’on considère la musique, ce que l’on considère le capitalisme et le fascisme et ce que l’on considère pratiques capitalistes et fascistes de la musique. Ici là maintenant, je vais aller droit au but et skipper les deux premières définitions en disant que la musique est l’ensemble des représentations sonores de ce que l’on appelle les musiques actuelles (enregistrement, diffusion live et consommation matérialisé et dématérialisé de la musique) et le capitalisme étant le système incitant à l’accumulation de marchandises et de spectacles et que le fascisme est la volonté de destruction radicale de ce qui est différent d’un absolu inatteignable et arbitraire, ici l’homme blanc hétérocisdyadique valide bourgeois.
Une partie des pratiques et philosophies capitalistes et fascistes de la musique pourrait s’accorder à être ce qui suit, liste qui pourrait en partie se plier à la plupart des domaines créatifs existants dans un système capitaliste néolibéral et fasciste :
- La musique se situe dans un ensemble de silence et de sons et s’impose au monde
- La musique est jouée par des outils sonores/instruments de musique/corps/hauts parleurs
- La musique est produite par des artistes qui sont aussi parfois des génies de leurs pratiques, qu’elles soient écrites, de composition, de jeux d’instruments
- La musique a un prix, sous toutes ses formes et pratiques
- La pratique de la musique est surtout une affaire d’hommes masculines hétérosexuels cisgenres valides
- Le fait d’être un génie musical est un passe droit pour être une ordure sexiste, raciste, homophobe, transphobe, validiste
- La musique a besoin de pratiques régulières et intenses pour qu’un ensemble de son et de silence soient considérés comme musiques
- On peut considérer qu’il y a des pratiques amatrices et professionnelles de la musique
- La musique peut habiller des moments de vie
- La musique a, pour la grande majorité de ses expressions dites non expérimentales, besoin d’une scène pour exister
- La musique s’entend
- La musique exprime l’âme
- Il y a de la bonne et de la mauvaise musique. La bonne est celle faite par des artistes de génie.
- Il y a des musicien-nes qui sont meilleur-es que vous dans leur manière de jouer de la musique et il est possible de faire des classements des meilleures musicien-nes, et se sont souvent des hommes.
- La musique n’est pas du théâtre
- La musique ne se joue que rarement en dehors de la scène. Si c’est le cas, il faut une autorisation de la police municipale
- Le théâtre n’est pas de la musique
- Une peinture n’est pas de la musique
- Un message sur un répondeur n’est pas de la musique mais un répondeur peut avoir une musique d’attente, et le message peut contenir de la musique de fond qui n’est donc pas de la musique mais qui est de la musique
- La musique n’est pas une image à moins que la musique soit numérisée et convertie dans Audacity en fichier image (mais qui fait ça, en vrai? Et en plus c’est vraiment très très moche)
- Une image n’est pas de la musique, même quand on convertit l’image dans Audacity (qui peut considérer le bruit qui en sort comme étant musical, sérieusement?)
- La musique, sauf dans ses expressions les plus expérimentales, doit pouvoir s’écrire. Sinon il faut convenir de nouvelles figures mais sans casser les codes de l’écriture occidentale de la musique
- La musique se conceptualise en courants musicaux. Les sous genres de sous genres sont souvent des blagues plus que des réflexions sérieuses sur des ensembles de pratiques culturelles légitimes
- Ce qui n’est pas de la musique actuelle occidentale est de la musique du monde et doit se vendre dans un rayon particulier à la Fnac.
- La musique peut être numérisée, mise en listes et diffusée par des algorithmes pour habiller des moments de vie quotidienne, pour rythmer sa journée, accroître sa concentration au travail, améliorer son endurance à la salle de sport, en échange d’un abonnement à bas prix et de la récupération et l’analyse des données utilisateurices
- La musique a ses figures héroïques qui méritent d’être intronisées dans des musées, représentées dans des biopics, et « ressuscitées » potentiellement sur scène à l’aide d’hologrammes.
- La musique peut être jouée sur scène par des hologrammes, qui peuvent représenter des personnes juvéniles et mineures qui ne vieilliront jamais et ne seront jamais fatigués de leur pratique capitaliste de la musique contrairement aux musicien-nes qui veulent une sécurité sociale et des droits
- La musique s’apprend en école de musiques et en conservatoire, ou auprès d’un*e professeur*e particulier*e. L’apprentissage de la musique en autodidacte est souvent considéré comme incroyable et ce sont soit des gens qui vont perdre leur intérêt très vite ou bien des génies seulement qui vont persévérer
- La destruction d’instruments de musique est un sacrilège, il n’y a rien de plus sacré qu’un instrument de musique.
- Le silence est la propriété intellectuelle de John Cage et rien de plus expérimental que cette extrémité du sonore - et son opposé la Harsh Noise Wall - ne peut exister.
- La musique enregistrée et écrite est une propriété intellectuelle qui doit être défendue coûte que coûte pour défendre les droits des génies et de leurs ayant droits.
- Les droits des artistes s’accompagnent toujours de droits voisins, notamment après la mort de ces dits artistes, pour une durée très très longue avant que les enregistrements ne finissent dans le domaine publique à la merci de toustes
- La musique élevée dans le domaine public se régule seul et n’a pas besoin de garde-fou ni de lobby pour être soutenue, après tout tout le monde en fait bien ce qu’iel veut
- Audible Magic et Google (via Content ID) sont compétents pour gérer au bon maintien des droits voisins sur l’entièreté de l’internet avec leur robot de reconnaissance de signature numérique et n’ont pas besoin d’avoir un contrôle régulier pour vérifier que tout se passe dans les règles.
- Une musique doit exister de manière intacte. Si remix il y a, il doit être accompagné d’un contrat de licence qui convient à l’usage. Toute appropriation en dehors d’un contrat tacite et souvent rémunéré, même si c’est à titre éducatif/ludique/récréatif, n’est pas toléré et vous devriez avoir un peu honte de vous adonner à ce genre de créativité car ça détruit l’industrie.
- La musique doit être entendue sur des appareils de haute qualité de diffusion
- La musique doit être accessible instantanément dans les listes de diffusion sur les sites d’écoutes en ligne, même si cela passe par une compression extrêmement importante du fichier sonore, et que vous devriez avoir un peu honte d’apprécier ce type de musique compressée
- C’est à l’individu de se discipliner sur la dangerosité de sa consommation de musique pour son corps. Aussi c’est à l’individu de faire attention à ne pas monter le volume de son dispositif d’écoute après un certain seuil.
- Les campagnes de sensibilisation à la dégradation de l’appareil auditif ne doivent pas être dirigées par l’état mais par des petits organismes avec de faibles moyens d’action.
- Certaines musiques méritent plus d’être représentées que d’autres dans les télécrochets, les fêtes en tout genre, les célébrations.
- Certains sons enregistrés et numérisés sont difficilement qualifiables de musique, notamment ce qui intègre des bruits, les plages de silences, les plages de bruits environnementaux. Ils le sont seulement si ils peuvent finir sur une plateforme commerciale et être vendu.
- Une affiche de concert a une tête d’affiche plus importante que les autres personnes qui jouent et méritent donc plus d’attention, et aussi plus d’argent
- Il est possible et totalement sain de dire qu’un artiste fait de la très mauvaise musique malgré qu’il en vende plus que n’importe quel autre artiste de son pays.
- La musique est un art
- La musique est un outil d’émancipation et de voyage
- La musique est un travail
- La musique est un loisir
- Écouter de la musique est un loisir
- Écouter de la musique n’est pas un travail
- Écrire sur la musique n’est pas un travail à moins que l’on soit journaliste. Sinon c’est une perte de temps.
- Le pic de l’expérience musicale est le concert
- Il faut faire un autre métier que musicien-ne en tournée si on est handicapae
- Composer de la musique est un hobby
- Composer de la musique n’est pas un vrai métier contrairement à producteurice
- Il n’est pas utile d’investir dans des outils comme des moteurs de recherche complexes pour découvrir des musiques sans écoutes sur les sites de streaming pour avoir un environnement sain et juste de la diffusion musicale
- Il n’est pas nécessaire de créer de nouvelles presses à vinyles, en avoir une dizaine dans le monde est amplement suffisant pour encaisser tous les disquaires days de ses prochaines cinquantaines années.
- Il n’est pas nécessaire de réfléchir à l’impact écologique de la musique enregistrée ni de la musique amplifiée et encore moins aux festivals de musiques.
- Il n’est pas nécessaire de faire de la prévention sur les pratiques d’écoutes à risques et la consommation de substances psychotropes.
- Il n’est pas nécessaire de faire de la prévention sur les comportements sexistes et sexuels en festival de musiques
- Il faut absolument la présence de l’action d’un-e artiste pour considérer n’importe quel son comme musical
- La musique n’existe pas sans artiste pour dire que c’est de la musique
- La nature n’est pas musical
- La nature est musical seulement si elle a été enregistrée et diffusée et considérée comme musical par la personne qui la diffuse qui est dorénavant forcément artiste
- Le chant des oiseaux n’est pas de la musique car il a une fonction reproductive et sociale
- La musique est un phénomène social pour les humain-e-s mais pas vraiment, faut pas abuser
J’aimerai prendre le temps un de ces quatre de compiler tous ces éléments en grandes catégories et de voir ça avec des copaines qui pourraient avoir d’autres idées de choses à rajouter.