La fois où j’ai maté 60 porns en une semaine et que je me suis dit « ah ouais d’accord, ça peut être ça l’audio d’un porno »
/!\Ceci est le script de ma chronique perdue avec la VOD de l'épisode 2 de Game Dolls Advance
TW : Mention de porn, mention de pratique sexuelle sans rentrer dans les détails et sans être explicite
Pour la plupart des gens, l’audio d’un porn c’est soit de la musique un peu groovy qui fait très cinéma d’exploitation des années 60, soit de la house du début des années 90, soit une absence totale de musique qu’on retrouve souvent dans des films avec très très peu de budgets.
Pour la petit histoire, fin octobre 2023, j’suis allée au Festival du film porno de Berlin pour présenter un film sur lequel j’ai fait la musique et le mixage audio, et pour faire la propagande de mes musiques gratuites et libres de droit dans le domaine public vivant. Donc, c’est un film réalisé par la performeuse et réalisatrice Manon Praline, du genre BDSM pas du tout vanille, c’est à dire un film avec des impacts et beaucoup de bruits de fluide en règle générale. Je ne vous nomme pas le film parce qu’il y a aussi d’autres trucs dedans qui peuvent être assez trigger vénère mais voilà. Je précise la nature du porn parce que ça a son importance dans mon cheminement de réflexion.
Le festival en lui-même, si vous connaissez pas, c’est deux cinémas dans Berlin qui projettent des porns de la scène alternative et queer, en présence des réalisateurices et des performeureuses. Y’a des longs métrages, des compilations de courts métrages selon des thématiques curatives souvent discutables, et si des membres du cast d’un film sont présents à la projection, il y a un petit Q&A à la fin du film et c’est souvent très intéressant.
Bref, p’tit retour sur la musique du film projeté. Faire ce taff de composition a été vraiment très cool, j’ai étiré sur environ dix minutes un morceau que j’avais composé y’a des années et que j’aime bien, c’est super agréable de le voir exister sur des images comme ça. Ça me fait me poser plein de questions sur comment le faire vivre dans le film, parce que y’a plein de sons chouettes à faire exister et à pas recouvrir. Le morceau de base est plutôt post-punk/shoegazy, on travaille avec la réalisatrice pour rendre la musique dynamique aux images avec des effets de filtre, de réverbération brumeuse, pour convenir à l’action, à l’ambiance, on évite les passages du morceau trop mélodique mais aussi les passages trop saturés pour laisser la place aux images et aux sons.
Ce travail sur la dynamique des silences, de la musique, des murmures, c’est super intéressant à conceptualiser. Ca demande parfois, pour faire émerger des sonorités intéressantes, de faire des trucages incroyables de sound design, à faire normaliser des prises micros en très bas volume qui crée un bruit blanc d’enfer à traiter. Un chaos total dans la cohérence sonore d’un film pour le plaisir d’entendre l’inaudible.
Une autre lecture au sonore
Retour au festival, et je pense que je mate environ 60 courts métrages porno sur la semaine et j’ai le temps d’analyser pas mal la musique des films qui passent et notamment la mienne. Et je pense que 90 % des pornos mettent une musique sur les films et recouvrent ce qui se passent soniquement alors que quelques films essayent de créer des espaces de respiration. Je suis d’ailleurs très surprise de l’esthétique des films d’amérique du sud et je découvre toute une scène post-porn assez incroyable (le post porn, c’est un courant porn qui détourne, utilise les éléments conceptuels du porno pour en faire autre chose, entre géants guillemets). Typiquement un incroyable film nommé « Casa de Bonecas » présentant une coloc de personne queer où y’a du sexe mais à la fin c’est presque plutôt un film d’horreur body horror qu’un porn, ou ce film « Pornomelancolia » qui relate la vie d’un travailleur du sexe qui subit le racisme du "type casting" dans le porn. Les images de relations sexuelles sont présentées mais ne sont pas le centre du propos.
Et c’est en pleine privation de sommeil berlinoise que je tilte un truc. Le son dans le porno, peut être considéré comme de l’ASMR. Je m’explique.
Les premières vidéos dites ASMR, c’est pas des gens qui tripotent des objets à côté d’un micro hyper sensible et sophistiqué. C’est, entre autre, une communauté de gens qui s’échangent des liens de podcast ou de vidéos sur Reddit pour déclencher la sensation d’ASMR. Dans une pratique émergente du sonore, non intentionnelle. Cette non intentionnalité de l’ASMR, on la retrouve notamment dans des conférences ou des émissions de télévision parce que la personne a un timbre de voix qui provoque l’endormissement, parce que la personne parle avec la bouche pateuse, parce qu’une personne qui commente une partie de cricket a une voix très reposante... D’ailleurs si le sujet de l’ASMR vous intéresse, y’a un numéro de la revue Audimat qui contient un article qui s’appelle « Générer l’euphorie en ligne : l’esthétique de la culture ASMR » de Rob Gallagher qui parle explicitement du sujet de l’ASMR, je vous le conseille très fort. La version originale de son texte est ici.
Donc, c’est quoi le bail avec l’ASMR et le porn, vous me direz. C’est que le fétichisme, le kink, l’excitation sexuelle peut émerger du non intentionnel sur quelque chose qui n’a pas toujours rapport au sexe.
Pour le son dans le porn, c’est un peu la même chose. Les sons des corps, d’impact, de fluide, les voix marmonnés, les gémissements, les froissements de textiles, tout ça c’est du potentiel à réveiller du fétichisme, de l’excitation, intentionnelle ou non.
Vous allez me dire qu’il y a déjà des catégories de porn qui traitent du fétichisme, c’est même la raison de l’existence de ces catégories. Mais c’est essentiellement dans le visuel et la monstration qu’il y a une direction intentionnelle de la recherche du fétichisme mais il y a pas ou peu d’intérêt pour son aspect sonore. A voir la tripoté de films qui barbouillent leur banc de montage de musique sans s’attarder à réfléchir si iels vont couvrir toutes ces sonorités, la recherche intentionnelle du fétichisme audio n’est pas un intérêt des réalisateurices. Évidemment, extraire ces sons demandent aussi des moyens que les réalisateurices n’ont pas forcément pour avoir des micros efficaces et des équipes de tournage qui peuvent gérer ça. Ca demande une logistique importante, et de la thune en masse (svp soutenez vos porn producer).
Alors j’vais tirer un but contre mon camp de compositeurice de musique, mais peut-être est-ce une mauvaise idée de placer une musique sans réfléchir sur son porn, et ça serait cool plutôt de réfléchir à comment la musique peut appuyer une narration et des changements de plans. Et mettre en valeur l’expression des corps et des espaces. La musique peut exister tout le long d’un film, c’est un parti pris récurrent, mais qui malheureusement fait souvent cache misère et empêche l’émergence de pratique d’écoutes.
Au delà de ça, il y a une approche sonore expérimentale dans le porno, qui reste une niche, et qui existe. Mais, c’est pauvre en référence et en essai. Pourtant on pourrait imaginer tout un tas de dimensions sonores à exploiter pour rajouter du signifiant dans le porn. Qu’est-ce qui nous empêcherait dans un post porn Body Horror de modifier la prise son des corps avec des effets de chorus et de pitch, d’installer des bruits de grincement dans le déplacement mécanique d’un muscle dans une scène hétérosexuelle vanille sur un lit parce que c’est rigolo, de rajouter de la dissonance spatiale et sonore en rajoutant de la réverbération dans une scène de sexe sur le bord d’un ruisseau...
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